Repas de fête / Repas de quartier

Le Repas de Fête est celui d’une collectivité, d’une corporation, d’une communauté déterminée, obligée (familiale, communale, etc.), qui, dans une occasion particulière (ou à des dates commémoratives), rassemble ses membres.

Le Repas de Quartier est celui d’une communauté choisie qui rassemble des personnes sans autres liens que le voisinage, dans l’unique ambition de leur rassemblement. Il crée et recrée perpétuellement une communauté éphémère, fragile mais toujours ouverte.

Petite histoire d’une expérience

1991-1993 : Repas de Quartier hebdomadaires à Arnaud-Bernard

Le concept : faire asseoir à la même table des voisins qui ne se connaissent pas ou peu, des gens de passage. Chacun apporte un plat à faire goûter aux autres. Occasion de maîtriser ensemble des problèmes générés par le repas lui même: aller chercher les voisins, partage des tâches, prévoir tables, nappes, chaises, couverts, contrôle collectif du bruit après une certaine heure, nettoyage de la place ou de la rue après le repas, discussions avec riverains hostiles éventuels, affrontement éventuels avec les pouvoirs publics pour autorisations etc…  

Rencontres, convivialité, échanges : prélude à d’autres actions ensemble, lutte contre l’isolement, échange des générations, des origines sociales ou nationales, des horizons culturels, politiques.

Cette expérience s’est déroulée dans un contexte bien particulier, celui d’un quartier où, parallèlement, de très nombreuses autres activités culturelles sont organisées et réalisées par  des citoyens bénévoles, et où le comité de quartier est bien implanté. En quelques semaines grâce à ces acquis, l’opération connaît un grand succès, qui déborde les frontières du quartier : des habitants de tous âges, de tous milieux sociaux, de toutes nationalités s’y retrouvent ; des curieux s’y pressent ; des articles paraissent et d’autres quartiers de Toulouse ou d’autres villes nous contactent. Ce succès s’amplifie avec les mois et les années, non sans poser des problèmes qui sont autant d’excellentes occasions de pédagogie civique.

Autour de la table dressée au milieu de la rue, toutes générations confondues : parents, enfants, étudiants, retraités, chômeurs, musiciens… mais aussi des élus, conseillers municipaux, députés, le Ministre de la Ville, venus spécialement pour la circonstance. Et, tout naturellement, les deux big challengers à la Mairie de Toulouse : Philippe Douste Blasy et François Simon.

Petits problèmes rencontrés

Celui des « profiteurs contestataires » qui s’invitent systématiquement sans rien amener et n’ont que mépris pour les tâches « serviles » (aider à porter les tables, les couverts, ranger les chaises, balayer, etc.). Notre plus grande réussite a été de les voir changer brusquement d’attitude (après qu’un soir les responsables habituels n’aient rien porté pour montrer qu’il n’y avait rien pour s’asseoir, pour manger, ou pour poser les plats si quelqu’un ne s’en occupait pas).

Celui du bruit, puisque nous prenons nos repas sur une petite place publique bordée de maisons d’habitation: comment organiser la convivialité entre des gens qui en ont besoin, en lançant de grandes discussions ou des « boeufs musicaux », et tout arrêter très tôt pour respecter le sommeil des riverains? Perpétuelles négociations.

Celui de la gestion de la diversité : dans une association sportive ou culturelle, un syndicat, un parti politique, les gens se retrouvent par affinités (parfois par génération, par niveau social, etc.) ; dans un quartier, des gens de tous horizons se retrouvent sur le critère du voisinage et sur des objectifs communs limités ; ils sont obligés de rencontrer des gens qu’ils ne rencontrent jamais ailleurs. On pourrait même affirmer que c’est à peu près, pour cette raison, le seul lieu d’apprentissage de l’esprit d’ouverture car il est ici total, face à toutes les différences-oppositions. C’est par là même un lieu formidable d’apprentissage d’esprit civique. Organiser une convivialité sur de telles bases de diversités est le plus profitable des exercices.

Conséquences positives

Nous pourrions longuement développer les conséquences positives qu’ont les « Repas de Quartier », en voici au moins deux  :

– La musique : la régularité des rencontres ouvertes à tous a permis l’éclosion d’une authentique musique de rue qui n’a rien à voir avec la musique de concert portée dans la rue (financée à grands frais par les institutions), mais qui favorise la participation effective de tous. Par l’improvisation, l’écriture de textes sur des thèmes limités et des codes précis, etc. Le seul moyen de départ pour refaire une France musicienne.

– La pratique des langues : quand les gens mangent ensemble, souvent ils parlent. Les repas délient les langues, au pluriel : la langue de tous, toutes les langues. Place des Tiercerettes,  tous s’expriment : à côté du français, on y entend aussi l’occitan, l’arabe et le berbère, le portugais et l’anglais. Ce n’est pas un hasard si les acteurs des « Repas de Quartier » ont créé « Prima de las Lengas », le Forum des Langues du Monde.